Décryptage

COP 22 : Avis de tempête sur le climat!

Publié le 14 novembre 2016 , mis à jour le 23 avril 2021

Présente à Marrakech, la Fondation Nicolas Hulot décrypte chaque jour les négociations à travers sa météo du climat. 2016 est l’année la plus chaude jamais enregistrée, avec son lot morbide d’évènements climatiques extrêmes et leurs conséquences humanitaires. 2016 est aussi marquée par deux événements : l'entrée en vigueur avec une rapidité remarquable de l’Accord de Paris et l’élection d’un président climato-sceptique à la tête des Etats-Unis. A Marrakech, la COP 22 entre ainsi dans une zone de turbulence.

Côté méthode et calendrier, les 108 pays qui ont ratifié l’accord sont dans un brouillard qui risque de persister. Côté pays du Sud, l’orage menace à nouveau sur les financements climat et la place de l’adaptation... Deux conditions pour retrouver la stabilité et peut-être un anticyclone : les états doivent être encore plus fermes sur leur ambition, se préparer à la relever dès 2018 et accélérer dans la transition vers une économie neutre en gaz à effet de serre à horizon 2050 & les pays développés doivent concrétiser leurs promesses de financement, notamment en augmentant leurs dons pour l’adaptation des pays du sud. Le soleil qui brille sur des énergies renouvelables toujours plus compétitives devrait les inciter à franchir le pas.

Vendredi 18 novembre

par Alix Mazounie, chargée des relations extérieures

La COP22 à Marrakech s’annonçait intéressante: le rythme-record de ratification de l’accord de Paris et les milliers d’initiatives m’avaient convaincu d’une volonté partagée et forte de booster l’action climatique, d’aller plus loin et plus vite. On parlait de la "COP Africaine", de la "COP de la solidarité" et je pensais donc que les priorités de l'Afrique seraient au coeur des négociations et qu’on parlerait de comment aider les communautés les plus exposées à se protéger contre les impacts du changement climatique. 

Mais cette année, les Etats n’étaient pas tout à fait au rendez-vous… la plupart est venue les mains vides, confondant ratification et passage à l’action. Au lieu du championnat de l’action annoncé et attendu, j’ai surtout assisté à un championnat des grands discours, sans marathons ni sprints à l'agenda. Car l’élection surprise de Trump ne doit pas masquer la réalité: avant même son élection, les Etats prévoyaient de venir à Marrakech sans l’intention d’engager plus de financements ou d’annoncer qu’ils irons plus vite et plus loin pour se rapprocher du 2°C. Certes, la semaine a été égayée de quelques bonnes nouvelles par ci et par là pour renforcer les initiatives créées à la COP21. Mais pas de quoi oublier que le gros du travail reste à faire: pour écrire le mode d’emploi de l’accord de Paris, pour accélérer les efforts dès aujourd’hui, pour anticiper les transformations profondes de nos économies d’ici 2050, pour augmenter le soutien financier aux populations fragilisées par la montée du niveau de la mer sur l’île de Tuvalu, par la désertification au Mali ou par les typhons aux Philippines. Trop de pays continuent de croire qu’ils ont franchi la ligne d’arrivée à la COP21 et qu’après l’effort, l’heure est au réconfort. Pourtant, nous avons été nombreux à rappeler que la COP21 n’était que le point de départ, qu’on était au milieu du guet. 

Et voilà, comme ils n’étaient pas prêts à faire plus et plus vite, les Etats n’étaient évidemment pas non plus prêts à répondre à l'ouragan Trump qui s’est abattu sur la COP22. Ils ont bétonné leurs discours, ils ont rappelé leur attachement à l’accord de Paris. François Hollande a marqué les esprits en parlant de « l’irréversibilité" de l’accord de Paris. Moi, ça m’a tout de suite fait penser à l'irréversibilité des impacts climatiques dans un monde à 3.5°C. Car au-delà du sursaut verbal, on ne peut pas parler de sursaut politique pour nous replacer sur le droit chemin. Au contraire, semblait régner une sorte de confiance aveugle dans la main invisible de l’accord de Paris qui, toute seule, permettrait à la transition énergétique de suivre son cour et d’accroître les flux financiers. La tentation est visiblement forte pour beaucoup d’Etats de se désengager, de passer le flambeau et la responsabilité aux acteurs non-étatiques. Mais comment feront-ils ces acteurs non étatiques et ces marchés dérégulés sans caps, aiguillages et soutiens politiques? Comment peuvent-ils opérer le virage d’un monde à 3,5°C à un monde bien en-deçà de 2°C si les Etats ne sont pas là pour aller plus loin et plus vite? 

J’ai l’impression que les gouvernements prennent le problème à l’envers… C’est maintenant que les Etats doivent se montrer forts, rassurer et encadrer les acteurs économiques et financiers et les citoyens. C’est maintenant que l’économie réelle a besoin d’un coup de main (et bien visible celui-ci), dès maintenant et pour longtemps. Le G7 pourrait montrer ses muscles en renforçant la transition énergétique dès aujourd’hui, en prenant le contre-pied de la politique de Trump. Le G20 pourraient aussi bâtir des phares et des caps qui résistent aux vagues et tempêtes politiques qui vont se succéder et tenter de déstabiliser l’action climatique. La COP22 a vu de nombreux pays appuyer la nécessité de construire des visions à 2050 pour se rapprocher de la neutralité en gaz à effet de serre et accompagner les mutations économiques et industrielles nécessaires pour stabiliser le réchauffement climatique. Les Etats Unis et l’Allemagne ont même publié des scénarios et des exercices de planification pour les 35 ans à venir, histoire de créer un avenir lisible pour leur pays et d’appuyer la reconversion des secteurs sinistrés. 48 pays parmi les plus vulnérables ont annoncé leur intention de devenir 100% renouvelable entre 2030 et 2050. Il faut continuer en ce sens. 

Une fois le choc passé, espérons que l’Europe y verra un électrochoc. En tant que citoyenne européenne, j’espère qu'elle montera au créneau, musclera sa politique climatique en réponse au menaces climato-sceptiques qui s’intensifient, renforcent sa législation en faveur des énergies renouvelables. C’est plus que jamais le moment de développer les panneaux solaires là où les Trump de ce monde veulent revenir au charbon, et de construire des passerelles de solidarité là où ils veulent construire des murs. C’est plus que jamais le moment d’interroger les accords commerciaux comme le CETA et le TAFTA qui ne sont au service ni de la planète ni des hommes, qui tirent l’Europe vers le bas et non vers le haut. La liste est longue mais je ne désespère pas: Rome ne s’est pas construite en un jour mais a fini par voir le jour. 

 

Lundi 14 novembre

Du brouillard jusqu’en 2018 ?

Alors que 108 pays ont ratifié l’accord de Paris, la COP22 va inaugurer la 1ère réunion ministérielle (« CMA ») de l’accord de Paris, à l’ordre du jour : agenda, calendrier, et modalités de mise en oeuvre de l’accord de Paris. Si les pays sont encore divisés sur la méthode, ils sont d’accord pour faire de la COP 24 en 2018 le prochain grand rendez-vous politique pour aller plus loin avec un accord de Paris pleinement opérationnel d’ici là. 

En ce qui concerne les contributions nationales (NDC), il s’agit de définir les règles qui s’appliqueront et le calendrier pour y arriver. Il serait important que les états s’engagent sur des cycles d’action de 5 ans et précisent les volumes financiers mobilisés et leurs stratégies d’adaptation. Malheureusement certains pays, comme l’Arabie Saoudite, bloquent l’adoption de nouvelles règles.

A Marrakech, les pays devaient définir les modalités du bilan intermédiaire et dialogue facilitateur de 2018, pour en faire un véritable moment politique, suffisamment puissant pour réviser les copies des Etats et accélérer le passage à l’action. Discussion qui n’aura pas abouti entre négociateurs et se poursuivra sous la responsabilité des présidences et des ministres.

 

Des orages sur les financements climat et l’adaptation

Sur financements, les pays donateurs ont récemment démontré via des projections OCDE qu’ils seraient en capacité d’atteindre 100 milliards de dollars en 2020. Mais comme lors de la COP 21, la méthode comptable interroge les ONG et ne fait toujours pas consensus dans les pays en développement. Ils projettent un doublement des financements pour l’adaptation d’ici 2020 mais ces chiffres ne sont pas consolidés, peu décaissés sous forme de subventions et ne priorisent pas assez les pays les plus fragilisés et pauvres (PMA). Cela reste insuffisant pour tendre vers l’équilibre visé par l’Accord de Paris et les pays en développement demandent un quadruplement d’ici 2020 des fonds pour l’adaptation. Pour la FNH, la France doit prendre sa part et concrétiser une augmentation de ses financements à l’adaptation sous formes de dons.

Sur l’adaptation, la tension est forte avec plusieurs sujets de crispation: 

  • Les pays bailleurs vont ils se décider à recapitaliser le Fonds pour l’Adaptation à hauteur de 80 millions de $ pour 2017 ? 
  • Comment atteindre ENFIN l’équilibre entre financements adaptation et atténuation établi par l’Accord de Paris, à quelle échéance ?
  • Comment communiquer sur ces efforts supplémentaires en matière de financement de l’adaptation ?
  • Quelle approche sur l’agriculture ? Les pays du Sud veulent prioriser l’adaptation des pratiques et la sécurité alimentaire quand les pays développés ont la mauvaise idée de prioriser les agro-carburants avec tous les problèmes que cela pose. 

 

 

Des éclaircies attendues sur l'ambition de la France ?

La présentation par l’Allemagne de son plan à 2050, les annonces de la Chine assurant de sa publication rapide d’un exercice similaire montrent que les Etats du G7 se préparent à honorer leur promesse de publier une feuille de route à horizon 2050 compatible avec l’objectif des 2°C tandis qu’une plateforme 2050 sera lancée en fin de semaine. La FNH attend de la France qu’elle s’engage à son tour dans cet exercice. Actuellement, la France s’appuie sur la loi sur la transition énergétique à horizon 2030, la PPE et la SNBC (-75%  "Facteur 4 » à horizon 2050, -40% 2030 et des budgets carbone jusqu’en 2028, révisés tous les 5 ans).  Ensemble, ces documents de planification représentent des avancées importantes mais ne sont pas suffisants pour respecter l’objectif fixé dans l’accord de Paris d’atteindre la neutralité en émissions de gaz à effet de serre dans la 2ème moitié du siècle et ne permettent pas d’aborder les grandes mutations industrielles et sociales nécessaires. Une problématique illustrée par le récent fiasco sur la mise en oeuvre d’une taxe carbone sur la production d’électricité à partir de charbon. Quand la France se décidera-t-elle à envisager sérieusement la fermeture de sites et créer les outils adaptés pour assurer une transition juste ?

 

 

Commerce et climat : en attendant le dégel

Faire le lien entre le commerce et lutte contre le réchauffement climatique est fondamental pour réussir à mettre en place l’Accord de Paris. Dans un sens, le commerce doit faciliter, entre parties de l’Accord de Paris, le déploiement des technologies utiles et les investissements dans les énergies renouvelables et discriminer les produits polluants et les énergies fossiles notamment les plus émettrices comme le pétrole issu des sables bitumineux. Dans l’autre, ceux qui remettent en cause la réussite de l’Accord de Paris pourraient être sanctionnés commercialement. C’est pourquoi l’UE doit revoir de fond en comble sa politique commerciale et arrêter de négocier et signer des accords commerciaux aveugles aux enjeux du 21ème siècle. Le CETA en est le parfait exemple. Quand le commerce redeviendra-t-il un moyen servant des objectifs plus élevés comme la protection des écosystème, la lutte contre le réchauffement climatique et la protection des droits humains et non plus une fin en soi ?

 

Plusieurs rapports sont publiés aujourd’hui :

  • un pré-rapport de l’Organisation Météorologique Mondiale, qui devrait qualifier 2016 d’année la plus chaude jamais enregistrée avec une température 1,2°C au dessus de la moyenne de l’ère pré-industrielle. Un rappel  de l’urgence à agir d’autant plus qu’il fait le lien avec les évènements climatiques extrêmes qui ont jalonnés l’année. Rappelons que l’ouragan Matthews a fait plus de 500 morts à Haïti.  
  • un rapport du Global Carbon Project qui établit la relative stabilité des émissions de GES en 2016 et la décorrelation apparente entre GES et croissance au niveau mondial. Pour autant, les Etats ne sont toujours pas sur un chemin compatible avec l’objectif de rester bien au dessous des 2°C.
  • un rapport de la Banque Mondiale sur le lien entre pauvreté et catastrophes naturelles

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